La règle de
principe de la non-déductibilité fiscale des œuvres d’art en tant que frais
professionnels est relativement bien connue en Belgique. Relativement… car si
elle est connue des praticiens de la fiscalité et autres comptables, elle ne
l’est pas forcément par les concernés eux-mêmes : l’artiste et l’acheteur.
En connaître les
ficelles pourrait-il constituer, indépendamment du coup de cœur sentimental de
l’acheteur, des arguments plus rationnels que l’artiste et la galerie pourraient
utiliser lors d’une vente. Y-a-t-il seulement des arguments à puiser dans cette
matière? Beaucoup de personnes n’ont en réalité pas la moindre idée de ce que le fisc permet… ou pas ! Le
droit fiscal belge aborde cette problématique de manière limitée, alors que le
droit français a quant à lui choisi une
solution différente de la Belgique.
La déductibilité fiscale de
l’œuvre : le principe et l’exception.
Prenons
l’exemple d’un docteur souhaitant acquérir une œuvre d’art afin de l’exposer dans
son cabinet. En principe, il ne pourra
pas déduire de ses revenus le prix d’acquisition de l’œuvre. En effet, suivant
l’administration fiscale, l’œuvre, ne se dépréciant pas, ne peut être amortie.
Elle ne constitue alors pas une dépense déductible. Cette position a été
critiquée par certains. Mais soit ! Le principe est fixé.
Cependant, à
toute règle existe son exception, quoique anecdotique dans ce cas-ci. Le prix
de l’œuvre d’art est déductible lorsque celle-ci est exécutée par un artiste
résidant en Belgique et qu’elle est incorporée à un bâtiment professionnel à
construire[1].
Le terme « incorporé » prend tout son sens lorsque nous précisons
qu’elle doit faire partie intégrante de l’immeuble en construction. Un tableau
de maître et une photographie ne rempliront pas cette condition puisqu’ils
peuvent être sans difficulté décrochés des mûrs sur lesquels ils sont apposés
alors qu’une statue de 2 mètres de haut a beaucoup plus de chance d’être réellement
considérée comme incorporée à l’ouvrage. En outre, le contribuable devra aussi apporter
la preuve du caractère artistique de l’œuvre, celui-ci devant être approuvé par
le ministre compétent.
Inutile de dire
que cette opportunité n’est que rarement utilisée. Il n’y a malheureusement pas
d’autre possibilité de déduire en tant que frais professionnels l’achat d’une œuvre
en Belgique.
Le mécénat et les dons à
l’Etat, un palliatif ?
La loi envisage
le cas de la déductibilité fiscale de dons dans deux cas de figure bien
délimités: les dons aux institutions agréées, ce que nous pouvons qualifier de
mécénat et les dons d’œuvres d’art à certains musées belges.
Dans le premier
cas, un particulier[2]
pourrait déduire de ses revenus nets le don qu’il fait à une institution
agréée pour un montant minimum de 40 EUR[3] et
de maximum 10 % de ses revenus sans que ce montant ne dépasse 250.000 EUR[4]. Un
entreprise pourrait de la même manière déduire ce type de don[5].Il
n’est cependant pas possible de devenir (fiscalement[6]) le
mécène d’un artiste en particulier dans la mesure où la déductibilité fiscale
ne sera accordée que si le don a été fait en faveur d’une institution agréée[7] –
généralement une ASBL- et que celle-ci a remis un certificat dument complété[8]. Le
but du législateur était d’encourager le
mécénat et la philanthropie du citoyen belge.
Dans le second
cas, le particulier pourra déduire la valeur de l’œuvre de ses revenus nets
lorsqu’elle est donnée à un musée de l’Etat. Une fois de plus, le don devra
répondre à des conditions strictes. Il faut notamment que l’œuvre ait été
reconnue par le Ministre des finances comme appartenant au patrimoine culturel
mobilier du pays ou comme ayant une renommée internationale[9]. Les
frais d’évaluation sont à charge du généreux contribuable jusqu’à ce qu’il apporte
la preuve de la donation. Ce système a été mis en place après le constat dans
les années 80 de l’appauvrissement du patrimoine culturel belge[10]. Notons
tout de même que les entreprises sont exclues de ce système[11]. Cependant,
un particulier désireux de voir sa contribution fiscale utilisée à bon escient
par l’Etat pourrait-il acheter une œuvre d’art dans le but d’en faire une
donation à un musée belge ? A priori, rien ne laisse penser que le
contribuable ne le puisse pas pour autant qu’il respecte les conditions légales
du don à un musée. Dans les faits, cette possibilité doit cependant n’être que
rarement utilisée…
Ces règles
ont-elles atteints leur but ? Ce n’est pas si sûr. Le système est-il
perfectible ? Sans hésitation.
Le vrai palliatif en droit belge : la location.
Un particulier
agissant à titre professionnel ou une société pourrait déduire les loyers des
œuvres d’art qu’ils affectent à la décoration des locaux professionnels.
Revenons à l’exemple de notre médecin qui souhaite décorer son cabinet :
s’il loue l’œuvre pour laquelle il a eu un coup de cœur, il aura non seulement le
plaisir de la contempler tous les jours mais le loyer sera également déductible
en tant que frais professionnels. Cette opportunité, autorisée par le
législateur, pourrait s’avérer intéressante aussi bien pour l’acheteur que pour
le vendeur.
L’exemple français.
Ce que la
Belgique ne permet que sous certaines formes, d’autres ne s’en privent pas. Il
suffit de comparer notre régime avec celui de notre voisin du sud pour constater
qu’une entreprise française pourrait directement déduire le prix d’acquisition
d’une œuvre d’un artiste vivant[12].
Evidemment, la déductibilité n’est accordée que sous certaines
conditions. Elle devra être exposée dans un lieu accessible au publique ou,
à tout le moins, aux salariés. L’œuvre devra par ailleurs être inscrite à
l’actif d’un compte immobilisé. Certes, ce système a été critiqué notamment
quant aux entreprises qui y ont accès. Il reste néanmoins une belle illustration
d’un système plus avantageux que celui de la fiscalité belge…
Alexandre Pintiaux
Avocat au Barreau de Bruxelles.
Collaborateur BBD-law.
Collaborateur scientifique ULB - droit de l'art.
[1] Voy. le COMIR n°61/233.
[2] Article 104 CIR/92
[3] Montant 2011 indexé.
[4] Montant indexé chaque année
[5] Attention, concernant les entreprises, le maximum ne peut dépasser
5% du revenu imposable de la société pour un montant maximal de 500.000,00 EUR
(article 200 CIR/92).
[6] Sous-entendu.
[7] Pour consulter la liste des institutions agrées, voy : http://fiscus.fgov.be
[8] Article 107 CIR/92
[9] Article 104, 5°, b) et 111 du CIR/92.
[10] Voy. T.Denotte, « La déductibilité des libéralités faites au
moyen d’œuvres d’art », La fiscalité
des œuvres d’art et d’antiquités, larcier, p.119.
[11] Articles 199 et 241 CIR/92.
[12] Article 238 bis AB du CGI français.