Comment prouver le titre de propriété d’une œuvre lorsqu’il n’y a pas de trace d’un écrit ?
Le cas de figure est courant : que l’œuvre soit transmise de génération en génération, achetée auprès de professionnels ou de particuliers, en vente publique, ou encore donnée par l’artiste, il n’est pas toujours possible – pour une infinité de raisons - de fournir la preuve de la propriété.
Pourtant, cette preuve est/devrait être demandée par les professionnels du marché le jour où vous décidez de vous en défaire. La situation est encore plus délicate lorsque l’œuvre que vous avez s’avère être le fruit d’un vol ou d’une spoliation sans doute plusieurs (dizaines) d’années avant.
Le code civil s’est penché sur cette hypothèse de manière pragmatique.
C’est en vue d’assurer la sécurité juridique du commerce de biens mobiliers, dont les œuvres d’art font assurément parties, que l’article 2279, al.1er du code civil édicte : En fait de meubles, la possession vaut titre. On parle alors de possession sur le bien, ce qui constitue un puissant concept juridique lorsqu’il est appliqué aux œuvres d’art : toute personne en possession d’une œuvre d’art est présumée en être le propriétaire à certaines conditions.
Plusieurs conditions
Pour revendiquer cette règle, encore faut-il qu’elle puisse être appliquée à la situation rencontrée. Le possesseur d’une œuvre doit avoir la main mise concrète sur le bien. Il faut également que son comportement corresponde à celui qu’aurait un propriétaire. Appliqué au marché de l’art, une maison de vente publique, par exemple, n’agit qu’en tant que dépositaire de l’œuvre. Jamais en tant que propriétaire, ce qui exclut automatiquement la possibilité de revendiquer la possession.
De plus, la possession doit être qualifiée d’ « utile », à savoir:
- Être continue, c’est-à-dire s’exercer de manière durable et régulière ;
- Être publique, c’est-à-dire ne pas être clandestine ou cachée ;
- Être paisible, c’est-à-dire ne pas perdurer grâce à un ou des actes de violence ;
- Être non équivoque, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas porter à confusion.
Si l’une de ces conditions n’est pas rencontrée, la possession perdra alors son caractère utile et le détenteur ne bénéficiera pas de la présomption de l’article 2279 du code civil.
Inutile de dire qu’en cas de revendication de l’œuvre par un tiers, c’est typiquement sur ces 4 conditions que le débat (probablement judiciaire) se portera pour permettre à l’un de conserver l’œuvre dont il était le possesseur, ou à l’autre de récupérer l’œuvre dont il aurait été dépossédé par le passé. Dans ce cas, la solution se dégagera en fonction des particularités du cas d’espèce.
Quid en cas de vol ?
Ceci implique que le possesseur d’une œuvre d’art, même en ignorant qu’elle serait le fruit d’un larcin, devrait la rendre, sous réserve d’être remboursé dans le cas suivant : si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se le faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix qu'elle lui a coûté.
Quid en cas de mauvaise foi ?
Il faut entendre par « bonne foi » la croyance légitime que la transmission de l’œuvre ait été réalisée par une personne que l’acquéreur considérait comme étant le véritable propriétaire de l’œuvre (le collectionneur ou l’artiste lui-même) ou son représentant (la galerie ou la maison de vente).
S’il devait être prouvé que l’actuel possesseur savait, au moment de l’acquisition, que celui qui vendait l’œuvre n’était en fait pas le propriétaire, il ne pourrait revendiquer – heureusement – la présomption de l’article 2279.
Le siège de la matière connaîtra une évolution très prochainement. En septembre 2021, ce fameux article sera abrogé du fait d’une importante réforme du code civil, et sera transposé dans un nouveau titre 3 dont la teneur demeure dans la lignée de ce qui est résumé ci-avant.