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lundi 20 avril 2020

Le marché de l’art confronté à la pandémie… et au droit !

Quelle est l’impact juridique du covid 19 sur le marché de l’art ? Analyse en droit et en fait.

Le covid 19 impacte l’ensemble de l’économie, sans exception pour le marché de l’art. Nombre de conventions en cours d’exécution sont impactées, que ce soit dans la relation entre les galeries et les artistes ou les acheteurs, mais plus généralement tous les intervenants.

Est-ce à dire que tout est couvert par l’exception de force majeur du fait de la conjoncture ? Rien n’est moins sûr, car des conditions strictes doivent être rencontrées. La force majeure implique la survenance d’un évènement insurmontable et irrésistible.


La cour de cassation évoque « un évènement indépendant de la volonté humaine que l’homme n’a pu prévoir ou prévenir ». Une pandémie est de nature à répondre à ce cas de figure, mais nous amène d’emblée à un constat : toute l’économie n’est pas à l’arrêt à l’heure où nous écrivons ces lignes . Jusqu’où l’exception de force majeur porte-t-elle dans ce cas ? La réponse réside dans l’analyse des conditions.

Il faut que l’évènement place le débiteur dans l’impossibilité de remplir ses obligations contractuelles et qu’il ne se soit pas lui-même comporté de manière fautive.

Si les conditions ne sont pas remplies par la structure qui se retranche derrière cette exception, le cocontractant sera en mesure de mettre en cause sa responsabilité pour faute. A l’inverse, si l’exception de force majeur (où une autre cause d’exonération – voir ci-après) est valablement invoquée, elle aura pour effet que la/les partie.s qui l’invoque.nt seront libérées de leur obligation respective et le contrat fera l’objet d’une dissolution, ou à tout le moins d’une suspension si l’exonération est elle-même limitée dans le temps.

Appliqué au covid 19 et au marché de l’art, les solutions seront diamétralement opposées suivants chaque cas d’espèce. Illustrations avec trois types de convention :
- Les expositions et les foires d’art ;
- Les contrats de vente d’œuvre d’art ;
- Et le transport des œuvres d’art.

Contrats d’exposition

Nous le savons tous : les galeries sont fermées, les expositions et les foires d’art sont annulées ou reportées. S’agit-il pour autant d’un cas de force majeur ? 

Selon nous : non, même s’il en sera ainsi dans l’esprit du grand public. La particularité de ces fermetures et reports réside dans le fait qu’il s’agit surtout d’une décision d’un tiers, à savoir le gouvernement, transposée dans une législation d’urgence s’imposant à l’économie. Suivre les directives du gouvernement en matière de pandémie implique par essence que le comportement de la galerie ou de la foire n’est pas fautif et justifie facilement la décision d’annulation ou de report.

Juridiquement, une telle situation est joliment qualifiée de « fait du prince ». Similaire à la force majeur, cette cause d’exonération à le même effet, à savoir la possibilité de ne pas exécuter le contrat d’exposition du fait de l’obstacle impossible à surmonter que constitue une nouvelle loi coercitive.
L’organisateur concerné doit agir avec prudence et sans abus. Imaginons que la pandémie devait être totalement sous contrôle du fait de la production d’un vaccin. Dans ce cas, l’économie reprendrait ses droits, les limites seraient levées et ne justifierait plus une décision de fermeture prolongée.

Reste la délicate question d’un report de l’évènement. Qu’en est-il si la foire n’est pas annulée mais reportée à une date ultérieure ? Dans ce cas, l’obligation de paiement de l’espace réservé par la galerie est suspendue en attendant l’organisation de l’évènement. Sauf que dans la pratique, de nombreuses galeries ne pourront pas participer à la nouvelle date, celles-ci ayant peut-être déjà des engagements pour d’autres évènements. Dans ce cas, elles devraient pouvoir demander la dissolution du contrat.

Vente en cours

Un autre cas de figure porte sur les ventes d’œuvres d’art qui étaient en cours au moment des consignes de confinement. Ce cas de figure est diamétralement opposé à l’hypothèse précédente car, contrairement à la fermeture de la galerie et à l’annulation d’une exposition, une vente ferme et définitive ne souffre pas des mesures des gouvernements en matière de covid 19.
Rien n’empêche en l’état actuel de la situation  que la vente soit finalisée : l’acheteur a l’obligation de payer le prix et le vendeur a l’obligation de délivrer l’œuvre.
La situation serait par essence différente si les bureaux de poste et les transporteurs ne fonctionnaient plus normalement, auquel cas nous devrions nous en référer aux principes évoqués ci-avant en matière de force majeur ou de fait du prince. 

Quoi que ! La solution ne serait pas strictement identique. Souvenons-nous que deux conséquences sont envisageables en la matière : la dissolution de l’accord ou la suspension de son exécution. Selon nous, l’application de cette exception devrait amener à postposer les obligations de livraison, dans la mesure où celles-ci pourront facilement être exécutées une fois la situation sanitaire normalisée.

Le contrat de transport d’une œuvre d’art

La situation est relativement facile lorsque l’œuvre ne nécessite pas une logistique trop importante, comme c’est le cas pour les tableaux, photographies, dessins, planches originales, et autres lithographies.

En revanche, le transport d’une sculpture monumentale implique une supervision du transport plus conséquente, cette réalité étant exacerbée lorsque l’œuvre doit être transportée à l’autre bout du monde. L’actualité nous a démontré que l’impossible devient possible en matière de pandémie, dont la conséquence la plus évidente pour les transporteurs a été de voir des avions…cloués au sol !

Est-ce à dire que le transport d’un continent à un autre est devenu impossible, ce qui rendrait l’application de la force majeure envisageable ? En l’état actuel, la réponse porterait plutôt sur un changement des conditions du transport, plus couteux. Un transporteur qui aurait remis une offre en janvier risquerait de voir la rentabilité de son contrat réduite à néant avec les difficultés de livraisons dans un pays comme la Chine ou l’Italie, et probablement très bientôt l’ensemble des continents.
Quelle position le transporteur peut-il prendre si les conditions du marché ont fortement évolué ?

L’application du cas de force majeur ne sera pas automatique, que du contraire ! Notre cour de cassation a confirmé par le passé que la simple augmentation du coût de l’exécution d’un contrat (dans notre cas un transport plus couteux vers un autre continent) n’est pas suffisante pour se retrancher derrière la force majeure. Rappelons que les conditions d’application de ce concept impliquent que l’évènement soit insurmontable et imprévisible, or un transport plus couteux ne le rend pas insurmontable.

Reste à analyser le contrat en lui-même. En matière de transport, ceux-ci prévoient régulièrement des exceptions à leur exécution, sous peine de devoir respecter ses engagements de manière déficitaire.

Qu’en est-il du reste du secteur culturel ?

Le reste du secteur culturel est fortement touché par la crise du coronavirus. Les annulations et reports en cascade impliqueront là aussi d’analyser la situation sur base des principes évoqués ci-avant.

La question en suspens n’est pas de savoir si le secteur est touché, mais plutôt dans quelle mesure il pourra plus ou moins facilement se relever de ce manque à gagner prolongé.

La réponse n’est pas simple du fait de la multiplicité des sources de financement des activités culturelles, dont les subsides ne constituent que la pointe émergée de l’iceberg. En la matière, la conjoncture n’était de toute façon pas glorieuse. Par contre, qu’en sera-t-il des autres sources de financement ? L’impossibilité de vente directe de billets va assurément constituer un élément important dans la balance négative. Autre exemple : le taxshelter rencontra-t-il moins de succès en 2020 pour l’audiovisuel et les arts de la scène, les sociétés investisseuses préférant thésauriser ?

A ce stade, notre sentiment va en ce sens, mais c’est sans compter une importante différence entre le secteur culturel et le reste de l’économie. Le secteur des industries culturelles et créatives a toujours impliqué  une importante part de travail bénévole ou rémunéré de manière réduite avec de nombreux outils à disposition du secteur, rendant la poursuite du projet culturel moins couteuse : RPI, activité complémentaire ou bénévolat sensu stricto pour ne citer que les plus évidents au sein des petites structures associatives, ce qui serait de nature à en faciliter la reprise. 

Le débat est ouvert.

Conclusions

Le marché de l’art et le secteur culturel sont fortement impactés par la crise. C’est une évidence. Par contre, il est impossible de dire de manière générale quelle solution juridique apporter à chaque situation factuelle, celles-ci pouvant, suivant l’espèce, amener des analyses différentes, comme l’ont démontré les 3 hypothèses évoquées ci-avant.

L’avenir nous dira si la situation engendrera un contentieux en la matière, mais nous ne le ressentons pas à ce stade.