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jeudi 27 juin 2024

Subventions culturelles : le flou « artistique » persiste (partie 2/2)

Malgré une réforme visant à clarifier les règles relatives à l’octroi des subventions culturelles, les critères de la loi, la procédure et la décision finale restent opaques. Suite de notre analyse.


Nous évoquions dans notre dernière chronique  le fait qu’un décret relatif à la nouvelle gouvernance culturelle devait rendre le processus d'attribution des aides plus objectif et transparent. Le résultat restait toutefois mitigé selon nous alors que peu d’opérateurs culturels peuvent s’en passer pour proposer une culture de qualité en Belgique francophone.  

Pour rappel, le processus à suivre est toujours le même : un dossier est préparé par la structure candidate à l’octroi d’un subside avant d’être examiné par l’administration. Il passe ensuite devant une commission spécialisée composée de membres issus du secteur artistique concerné (par exemple, les arts plastiques, les arts de la scène ou encore le cinéma). Enfin, le dossier revient chez le ministre compétent qui prend la décision finale, souvent en suivant tel quel l’avis de la commission. 

Enveloppe fermée et conflit d’intérêt

Certes le nouveau décret interdit les conflits d’intérêts, ce qui constitue une avancée.  Ainsi, les membres de ces commissions ne peuvent pas participer au vote sur les dossiers soumis par les structures auxquelles ils sont liés. Malgré tout, ces personnes sont souvent, pour ne pas dire toujours, eux-mêmes demandeurs pour d’autres dossiers soumis au même moment. Cela engendre inévitablement un conflit d’intérêts « général ». Tous les dossiers présentés à la même session, entrent en concurrence et la pratique nous a montré que ces commissions tenaient compte d’une enveloppe budgétaire fermée au moment de rendre leur avis. Accorder des aides à des projets concurrents diminue alors le budget pour leurs propres dossiers.

Une analyse rapide des subventions octroyées pour plusieurs acteurs de la culture montre que les dossiers dont les membres siégeaient au sein d’une des commissions ont souvent obtenu des aides plus élevées que les opérateurs non représentés dans ces commissions. Cela crée des doutes sur la légitimité des décisions et force les demandeurs à envisager des recours lorsque la décision finale est négative.

Types de recours

En fonction des situations, deux types de recours sont possibles :

- Un recours auprès de la Chambre des recours. Il s’agit alors d’un recours administratif qui, en cas d’avis positif, obligera l’administration à soumettre le dossier une nouvelle fois à la commission, mais dont la composition sera revue, avant que le dossier ne retourne sur le bureau du ministre compétent.

- Un recours au Conseil d’État. Dans ce cas, il s’agit d’obtenir l’annulation de la décision administrative en raison de son illégalité.

Dans les deux cas, nous recommandons que la forme du recours soit la même à savoir critiquer les motifs de la décision qui ne répondent souvent pas aux critères légaux, l’absence de transparence, les contradictions entre les arguments retenus et les éventuels conflits d’intérêts.

Portée d’un recours

Dans tous les cas, lorsqu’un recours est positif, le résultat final n’est jamais garanti. 

Dans le cas du recours administratif, le dossier revient chez le ministre compétent qui aura la possibilité de reprendre une décision potentiellement identique à la première, mais probablement mieux justifiée. Quant au Conseil d’État, si le (long) parcours est différent, la situation finale est sensiblement identique puisque l’administration devra reprendre une décision, potentiellement identique mais en la justifiant légalement. Le risque d’un retour au point de départ est donc plausible. Une ultime possibilité serait alors de solliciter une indemnisation si l’on peut prouver que la décision de refus du subside constitue une faute administrative qui a causé un préjudice. Comme l’annulation arrive souvent bien trop tard par rapport aux programmes et aux projets des opérateurs, seule une compensation est alors envisageable. Une telle demande pourra se faire soit directement au Conseil d’État, soit via les tribunaux civils. 

Force est de constater que s’opposer à un refus de subside ou à l’octroi d’un montant inférieur à la demande constitue un parcours souvent éprouvant pour les acteurs de la culture.


Philippe Carreau

Alexandre Pintiaux


Des démarches judiciaires peuvent être nécessaires pour réparer un éventuel préjudice. © Shutterstock




vendredi 21 juin 2024

Subventions culturelles : le flou « artistique » persiste

Les artistes et les opérateurs culturels de la Fédération Wallonie-Bruxelles dépendent très souvent des subventions publiques pour fonctionner. Malgré une réforme visant à clarifier les règles, les critères de la loi, la procédure et la décision finale restent opaques. Analyse.


En mars 2019, un nouveau décret relatif à la nouvelle gouvernance culturelle devait rendre le processus d'attribution des aides plus objectif et transparent. Le résultat reste toutefois mitigé. Pourtant ces aides sont souvent incontournables pour permettre aux artistes d’enrichir la scène culturelle en Belgique francophone.  

Différents types de financement sont disponibles : aides ponctuelles, pour une création, pour un programme sur plusieurs années. La procédure pour demander de tels soutiens est toutefois similaire : l’opérateur doit préparer un dossier et répondre aux exigences qualitatives et financières prévues dans la loi.

Le dossier

La première étape pour les artistes et opérateurs culturels consiste donc à bien ficeler leur dossier. Ils doivent décrire leur projet et leurs activités passées et futures, établir un plan financier et budgétaire, fournir toute une série d’annexes financières, sociales et comptables. Ils doivent également veiller à rencontrer les nouveaux objectifs de la loi : diversité culturelle, médiation, représentation équilibrée des genres et des minorités, durabilité et mutualisation. Rien que ça ! Un guide administratif explique comment préparer son dossier et remplir le formulaire concerné. Malheureusement, on n’y trouve pas d’explications claires sur plusieurs exigences de la loi, ce qui laisse une place (trop) importante à des interprétations personnelles. 

Analyse de la demande

Une fois le dossier déposé, il est examiné formellement par l’administration avant d’être soumis à l’avis d’une commission spécialisée. Il existe plusieurs commissions selon le domaine. Elles sont composées de membres issus du secteur artistique concerné (par exemple, les arts plastiques, les arts de la scène ou encore le cinéma). Ces professionnels évaluent la qualité des projets, toujours sur la base des mêmes critères légaux peu compréhensibles et dans le cadre d’une enveloppe budgétaire fermée, ce qui crée certains problèmes. D’autant plus, lorsque les examinateurs du dossier sont en quelque sorte des concurrents potentiels des demandeurs de subventions puisqu’ils sont – eux aussi – souvent membres d’opérateurs du secteur également subsidiés.

Récemment, de nombreux artistes ont vu leurs demandes rejetées, parfois pour des motifs obscurs. 

Plusieurs avis de refus reprenaient des considérations inadéquates ou étrangères aux critères légaux à examiner. Par exemple, il est surprenant d’y trouver des motivations très subjectives (manque d’« audace », anciens projets peu appréciés), en contradiction avec les éléments du dossier et parfois même totalement étrangères aux critères de la loi. Ainsi, plusieurs commissions ont tenu compte des contraintes budgétaires pour refuser ou réduire les subventions demandées, alors que le respect des budgets ne relève pas de leur mission. Dans des cas particuliers, le fait que des compagnies collaboraient avec d’autres compagnies subsidiées elles aussi par la Fédération Wallonie-Bruxelles ou par d’autres instances étrangères, a servi de prétexte pour rejeter la demande. Du point de vue de l’opérateur demandeur, la pratique de commissions est donc critiquable même s’il faut reconnaître que leurs membres ne semblent pas formés juridiquement à l’application des règles légales.

Une fois l’avis rendu, la ministre de la Culture doit prendre la décision finale. La pratique montre que pour éviter de politiser l’octroi des subventions, elle suit toujours l’avis rendu par les commissions. Les décisions ministérielles de refus ou d’octroi d’une aide financière réduite reposent donc intégralement sur ces fameux avis. Juridiquement, il s’agit d’actes administratifs qui doivent reposer sur une motivation exacte, pertinente et conforme à la loi. Si tel n’est pas le cas, des recours sont possibles.

Dans notre prochain article, nous explorerons les recours possibles en cas de refus de financement.


Philippe Carreau

Alexandre Pintiaux


La préparation du dossier peut être un véritable casse-tête pour les opérateurs face à des critères vagues. © Shutterstock