vendredi 21 juin 2024

Subventions culturelles : le flou « artistique » persiste

Les artistes et les opérateurs culturels de la Fédération Wallonie-Bruxelles dépendent très souvent des subventions publiques pour fonctionner. Malgré une réforme visant à clarifier les règles, les critères de la loi, la procédure et la décision finale restent opaques. Analyse.


En mars 2019, un nouveau décret relatif à la nouvelle gouvernance culturelle devait rendre le processus d'attribution des aides plus objectif et transparent. Le résultat reste toutefois mitigé. Pourtant ces aides sont souvent incontournables pour permettre aux artistes d’enrichir la scène culturelle en Belgique francophone.  

Différents types de financement sont disponibles : aides ponctuelles, pour une création, pour un programme sur plusieurs années. La procédure pour demander de tels soutiens est toutefois similaire : l’opérateur doit préparer un dossier et répondre aux exigences qualitatives et financières prévues dans la loi.

Le dossier

La première étape pour les artistes et opérateurs culturels consiste donc à bien ficeler leur dossier. Ils doivent décrire leur projet et leurs activités passées et futures, établir un plan financier et budgétaire, fournir toute une série d’annexes financières, sociales et comptables. Ils doivent également veiller à rencontrer les nouveaux objectifs de la loi : diversité culturelle, médiation, représentation équilibrée des genres et des minorités, durabilité et mutualisation. Rien que ça ! Un guide administratif explique comment préparer son dossier et remplir le formulaire concerné. Malheureusement, on n’y trouve pas d’explications claires sur plusieurs exigences de la loi, ce qui laisse une place (trop) importante à des interprétations personnelles. 

Analyse de la demande

Une fois le dossier déposé, il est examiné formellement par l’administration avant d’être soumis à l’avis d’une commission spécialisée. Il existe plusieurs commissions selon le domaine. Elles sont composées de membres issus du secteur artistique concerné (par exemple, les arts plastiques, les arts de la scène ou encore le cinéma). Ces professionnels évaluent la qualité des projets, toujours sur la base des mêmes critères légaux peu compréhensibles et dans le cadre d’une enveloppe budgétaire fermée, ce qui crée certains problèmes. D’autant plus, lorsque les examinateurs du dossier sont en quelque sorte des concurrents potentiels des demandeurs de subventions puisqu’ils sont – eux aussi – souvent membres d’opérateurs du secteur également subsidiés.

Récemment, de nombreux artistes ont vu leurs demandes rejetées, parfois pour des motifs obscurs. 

Plusieurs avis de refus reprenaient des considérations inadéquates ou étrangères aux critères légaux à examiner. Par exemple, il est surprenant d’y trouver des motivations très subjectives (manque d’« audace », anciens projets peu appréciés), en contradiction avec les éléments du dossier et parfois même totalement étrangères aux critères de la loi. Ainsi, plusieurs commissions ont tenu compte des contraintes budgétaires pour refuser ou réduire les subventions demandées, alors que le respect des budgets ne relève pas de leur mission. Dans des cas particuliers, le fait que des compagnies collaboraient avec d’autres compagnies subsidiées elles aussi par la Fédération Wallonie-Bruxelles ou par d’autres instances étrangères, a servi de prétexte pour rejeter la demande. Du point de vue de l’opérateur demandeur, la pratique de commissions est donc critiquable même s’il faut reconnaître que leurs membres ne semblent pas formés juridiquement à l’application des règles légales.

Une fois l’avis rendu, la ministre de la Culture doit prendre la décision finale. La pratique montre que pour éviter de politiser l’octroi des subventions, elle suit toujours l’avis rendu par les commissions. Les décisions ministérielles de refus ou d’octroi d’une aide financière réduite reposent donc intégralement sur ces fameux avis. Juridiquement, il s’agit d’actes administratifs qui doivent reposer sur une motivation exacte, pertinente et conforme à la loi. Si tel n’est pas le cas, des recours sont possibles.

Dans notre prochain article, nous explorerons les recours possibles en cas de refus de financement.


Philippe Carreau

Alexandre Pintiaux


La préparation du dossier peut être un véritable casse-tête pour les opérateurs face à des critères vagues. © Shutterstock