D’un
point de vue juridique, l’œuvre d’art est évoquée dans différentes
législations. Comment est-elle définie concrètement ?
La question est sensible puisqu’elle
renvoie directement à la définition de l’art en tant que tel. Qu’est-ce que
l’art ? A partir de quel moment est-on face à une œuvre d’art ? Quels
éléments font la qualité d’une œuvre ? La réponse est-elle la même pour
une antiquité et une œuvre contemporaine ?
A titre personnel, nous pensons que l’art
a pour but de susciter dans le chef du spectateur une émotion positive ou
négative face à l’œuvre à laquelle il est confronté. Cette émotion peut être provoquée
par une critique sociale au travers de l’œuvre, une recherche intellectuelle de
l’artiste, sa volonté de choquer ou de déranger, de faire évoluer la société ou
encore par l’esthétisme qui se dégage de l’œuvre.
En réalité, ces questions sont
pratiquement de l’ordre de l’existentiel et leurs réponses seraient plus
justement dictées par les sociologues, philosophes et historiens de l’art, pour
autant qu’ils puissent se rassembler autour d’une réponse unique… (Hautement
improbable).
A l’opposé, nous trouvons la rigueur du
droit auquel l’art et son marché sont inévitablement confrontés. Comment le
législateur a-t-il appréhendé l’art pour lui appliquer des règles
spécifiques ? Le droit a besoin de définitions aussi précises que possible
afin de délimiter l’application ou non des lois à des situations concrètes. En
Belgique, c’est donc dans des cas précis (en matière fiscale, en droit
d’auteur, etc.) que le législateur s’est penché sur la définition d’une œuvre
d’art.
Multiplicité
des définitions
Il
n’existe pas une seule et unique définition de l’œuvre d’art qui serait
applicable à l’ensemble de l’ordre juridique belge. Chaque législation aborde
l’œuvre d’art selon sa propre approche.
En
fonction de la question juridique à laquelle le lecteur est confronté, la
définition sera différente. Plus précisément, le législateur utilise des
critères qui seront différents en matière de droits d’auteur, de TVA ou encore
de protection du patrimoine national. Il est dès lors tout à fait concevable –
juridiquement – que certaines œuvres soient couvertes par une législation et
exclues du champ d’application d’une autre législation.
La
protection d’une œuvre par le droit d’auteur
La
protection de la création par les droits de l’auteur[1]
constitue certainement l’aspect du droit et du marché de l’art le plus connu du
grand public.
Cette
protection ne coule pourtant pas de source puisque l’œuvre créée n’est protégée
que si deux conditions cumulatives sont remplies, à savoir :
- être mise en forme, c’est-à-dire qu’elle constitue une réalisation concrète et non une simple idée qui, elle, n’est pas protégeable ;
- être originale, c’est-à-dire qu’elle doit avoir permis à son auteur d’exprimer son esprit créateur[2] (condition particulièrement subjective à démontrer en cas de litige).
En
réalité, ces deux conditions sont tellement larges qu’elles permettent
d’englober de très nombreuses créations, qui ne sont pas des œuvres d’art. Le
caractère artistique n’est nullement une condition de protection, ce qui
explique que de nombreux éléments dans le monde des affaires sont actuellement
protégés par le droit d’auteur. Il pourrait par exemple s’agir d’un site
internet, d’un e-mail professionnel et même du code informatique servant à un
programme d’ordinateur.
L’œuvre
d’art et la TVA
En
matière de TVA, il existe un régime particulier qui permet aux artistes de
vendre leurs œuvres en y appliquant un taux de 6% au lieu de 21%. Le prix d’une
oeuvre, TVA comprise, peut donc fortement varier en fonction de l’application
de ce régime ou non.
Pour
en bénéficier, il ne s’agit plus de remplir des conditions au sens strict,
comme en matière de droits d’auteur. Le législateur a préféré viser des objets
communément admis comme étant des œuvres d’art, et ce indépendamment de toute
considération artistique[3].
Sont notamment listés :
- les tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l'artiste ;
- les gravures, estampes et lithographies, originales;
- les productions originales de l'art statuaire ou de la sculpture en toutes matières, exécutées entièrement par l'artiste; les fontes de sculptures à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l'artiste ou ses ayants droit;
- ou encore les photographies prises par l'artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus.
Autorisation d’exportation
L’exportation d’œuvres d’art est délicate lorsqu’elle porte
sur une œuvre majeure, car l’on considère que c’est le patrimoine national qui
s’appauvrit. C’est pour éviter cet appauvrissement que quelques règles ont été
émises pour encadrer ce type d’exportation hors des frontières.
C’est le législateur européen qui
édicte les grandes lignes de la matière dans l’ensemble de l’Union[4][5].
Comme en matière de TVA, le texte
vise une série d’objets par catégorie, auxquelles quelques conditions
complémentaires s’appliquent (valeur et âge de la création principalement). Parmi
une liste de 14 catégories, nous relevons les plus inhabituelles et
interpellantes (bien tendu, les œuvres plus classiques sont également visées avec leurs conditions propres) :
- les objets archéologiques ayant plus de 100 ans;
- les incunables et manuscrits, y compris les cartes géographiques et les partitions musicales, de plus de 50 ans;
- les livres de plus de 100 ans;
- les cartes géographiques, imprimées de plus de 200 ans;
- les collections et spécimens provenant de collections de zoologie, de botanique, de minéralogie ou d'anatomie;
- les moyens de transport ayant plus de 75 ans.
Les seuils financiers, suivant
les types d’objets en cause, varient entre 15.000 EUR (par exemple pour les
mosaïques, les photographies, les dessins) et 150.000 EUR pour les tableaux.
Nous le constatons : de
nombreuses œuvres sont donc excluent de ce régime au moyen de cette définition.
Statut d’artiste : une
définition de l’activité artistique
Dans la mesure où des règles
spécifiques ont été édictées par le législateur en faveur des artistes, la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des
travailleurs se penchent également sur la question de l’œuvre d’art, ou plus
particulièrement sur ce qui constitue une activité artistique.
L’article 1 bis de la loi précise :
Par "la fourniture de prestations
et/ou la production d'œuvres de nature artistique", il y a lieu d'entendre
"la création et/ou l'exécution ou l'interprétation d'œuvres artistiques
dans les secteurs de l'audiovisuel et des arts plastiques, de la musique, de la
littérature, du spectacle, du théâtre et de la chorégraphie ".
La loi vise ensuite une
commission d’artiste à charge pour elle d’évaluer si l'intéressé fournit des
prestations ou produit des œuvres de nature artistique.
Le but final de cette législation
est de permettre l’accès de l’artiste avéré à la législation spécifique en matière d’allocation
de chômage plus avantageuse que pour les autres demandeurs d’emploi
non-artistes.
L’affaire Brancusi
Le législateur n’est pas le seul
à avoir dû, bon gré mal gré, se pencher sur le concept d’œuvre d’art. A l’autre
bout de la chaine du droit se trouve le juge qui doit appliquer les lois. Une
jurisprudence systématiquement citée dans les ouvrages en droit de l’art nous
vient des Etats-Unis et a opposé l’artiste Brancusi à l’Etat Américain[6].
Il faut préciser qu’aux
Etats-Unis, selon le Tariff Act
applicable à l’époque des faits (1928), les œuvres d’art rentraient dans le
pays en application du régime fiscal du « duty
free » (exempt de taxes). L’artiste souhaitait importer dans le pays une
sculpture connue sous le nom de « L’oiseau dans l’espace». En l’espèce,
s’agissant d’une œuvre figurative, le douanier américain confronté à celle-ci
estima qu’il ne pouvait être question d’art mais d’un objet en métal importé.
En conséquence, il a considéré que le bien devait être taxé en tant que tel et
non exempté en tant qu’objet d’art.
Une fois l’affaire portée devant
les Tribunaux compétents par l’artiste, l’Etat américain a avancé des arguments
divers, usant de considérations esthétiques pour justifier la taxation. Un de
ces arguments invoquait la non-ressemblance entre l’œuvre et ce qu’elle représentait.
L’artiste, quant à lui, répliquait en invoquant la perception esthétique qu’il
avait de son œuvre, la beauté attachée au bien qui en faisait sa qualité
d’œuvre d’art et enfin l’absence d’utilité de l’œuvre ce qui caractérise tout
objet d’art. De la sorte, le juge américain a été forcé de déterminer ce
qu’était en soi une œuvre d’art.
Après de long débat, le juge
suivit les arguments de Brancusi et conclut qu’il s’agissait bien d’une œuvre
dans le cas d’espèce. Il retint la finalité décorative de l’œuvre qui doit être
comparée à la finalité décorative de toutes œuvres d’art des grands maîtres, et
ce indépendamment de l’approbation ou non de la démarche artistique qu’un
nouveau courant pouvait générer. En procédant de la sorte, le juge a rejeté les
éléments subjectifs liés à l’appréciation de l’œuvre.
Transposé à notre droit, une
telle décision n’a que peu de chance d’être rencontrée. Nous avons vu l’approche
du législateur définissant l’œuvre non pas de manière abstraite, mais en y appliquant
des conditions ou des listes descriptives, sans considérations esthétiques.
Même
dans le monde de l’art, notre droit reste une matière aride.
[1]
Articles XI.165 et suivants du Code de droit économique.
[2]
C.J.C.E, 16 juillet 2009, arrêt Infopaq,
C-5/08.
[3]
Arrêté royal n° 20, du 20 juillet 1970, fixant les taux de la taxe sur la
valeur ajoutée et déterminant la répartition des biens et des services selon
ces taux.
[4]
Règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant
l'exportation de biens culturels
[5]
Voyez aussi notre analyse de ce régime dans notre article du 4 mars 2015.
[6]
US Customs Court, 3rd division, November 26, 1928, CONSTANTIN BRANCUSI vs USA,
Protest n° 209109-G.